Rav Oury Cherki

Bamidbar - Individuel et Collectif (B)

Iyar 5782



A la différence des livres de la Genèse, de l'Exode et du Lévitique, qui mettent en évidence l'ordre du monde, depuis la création, en passant par l'apparition de l'humanité, puis d'Israël, jusqu'à la présence Divine dans le tabernacle, le livre des Nombres est une entité à part. Jusque-là, on aurait pu penser que la Thora n'a été donnée qu'à l'homme dont le monde est stable et les secousses rares. Le livre des Nombres nous confronte à des situations de crise et de remises en question qui sont typiques de la vie dans le désert – d'une vie en mouvement. Cette situation tend à décomposer la société en ses diverses composantes et amène chaque groupe à tirer dans sa direction.

L'aspect négatif d'une telle décomposition est évident. Mais il y a néanmoins un avantage : le désert permet de clarifier, dans des conditions de quasi laboratoire, le rôle de chaque élément du peuple d'Israël et lui donner la place qui lui est appropriée. La stratégie employée par la Thora pour appréhender le désordre est le dénombrement du peuple en vue de son départ. Le décompte initial nous rappelle tout au long des épreuves qu'au commencement il y a un ordre primordial qui, bien qu'ébranlé pendant le voyage par les obstacles de la vie, finira par être retrouvé lors de la section de Pin'has, au moment du dénombrement de la sortie du désert.

Le recensement d'un groupe humain a certes un aspect problématique, car le décompte est par essence impersonnel – il ne prend pas en compte l'identité des individus. C'est caractéristique notamment des régimes totalitaires qui négligent la valeur individuelle. Pourquoi alors ne pas recenser le nom de chaque individu ? C'est que cela affecterait l'unité de la collectivité. Pour cette raison, la Thora a ordonné d'effectuer le recensement du "nombre des noms" des Enfants d'Israël. Car d'une part le nombre est collectif et met en évidence l'unité des individus, d'autre part les noms valorisent la particularité de chaque individu.

Au temps du désert, la tribu qui tient le premier rôle au sein du peuple d'Israël est celle de Lévi. Cette tribu, qui est positionnée au centre du campement, est préparée aux situations de crises et de remises en question. Elle a la capacité de se lier à tout le peuple du fait qu'elle n'a pas d'attaches. Elle est une identité intermédiaire qui parle à tout le monde et peut lier tout le monde. Cependant, une fois en Terre d'Israël, la tribu de Lévi – tribu du mouvement, n'a plus ce rôle central. Son rôle est repris par la tribu de Benjamin, située géographiquement au cœur des tribus. C'est elle qui, étant originaire du seul fils de Jacob né en Terre d'Israël, a la capacité d'enseigner la Thora de la Terre d'Israël.