Rav Oury Cherki

Balak - Balaam = Nietzsche

Publié sur le site du Centre Noachide Mondial.



Parmi toutes les explications de l'enseignement de nos sages sur le fait quil ne s’est levé dans l'histoire quiconque comme Moïse dans le peuple d'Israël, mais qu'il s’en est levé un chez les nations en la personne de Balaam fils de Beor, l'explication du Maharal de Prague nous paraît être celle qui touche du plus près à la racine: ce que Moïse fut pour Israël, c'est-à-dire le condensé de l'âme de tout le peuple d'Israël, Balaam le fut pour les nations: le condensé de toute l'humanité en ce qu'elle s'oppose à Israël.

Sa position de l'extérieur l'élève au-delà de toute considération accusatrice à l’égard de ce qui se déroule sous ses yeux à Chittîm au moment de sa prophétie, ce qui permet à son œil de voir la grandeur authentique du peuple. Il est à tel point épris par sa grandeur qu'il ne désire qu'une chose, posséder un destin semblable à celui du peuple d'Israël: "Puissé-je mourir comme meurent ces justes, et puisse ma fin ressembler à la leur!" (Nom. 23, 10).

Cependant, cette connaissance même l'amène à un antisémitisme sans pareil, poussé par une jalousie extrême qui ronge son for intérieur. Son conseil à Balak de faire fauter Israël ne se borne pas à de la simple méchanceté provenant de bas instincts. C'est l'expression de l'antagonisme intégral entre l'humanité attachée aux lois de la nature et désirant rester ainsi, et l'exigence de la relation avec un Dieu détaché du monde, transcendant, représentée par le peuple d'Israël.

Cette tension hostile apparaît toujours à des moments bien définis: à chaque fois que le peuple d'Israël est sur le point d’acquérir un rôle politique décisif sur la scène de l'Histoire. La première forme que prit cette aspiration destructrice fut lors du bourgeonnement de l'identité nationale d'Israël, alors que Jacob s'enfuit de chez Laban et ce dernier (qui était l’ancêtre de Balaam ou son prototype) demanda à "tout déraciner". Il en est de même à l'heure où le peuple d'Israël dans son entier est à la porte de la terre de Canaan, et survient alors Balaam dans sa tentative de déraciner le peuple, ainsi qu'à l'époque moderne à l'heure de la renaissance nationale d'Israël. C'est précisément à ce moment qu'est survenue la réincarnation moderne de Balaam, sous la forme du philosophe allemand Friedrich Nietzsche.

Nietzsche fut capable d’écrire à la fois: "le grand jour viendra... où l'antique Dieu d'Israël se réjouira du monde et du peuple qu'il a créés, et tous nous nous réjouirons avec Lui" (extrait de "Aurore" cité par rav Tsvi Yehouda Kook, Lintivot Israel, Ed. Beit El, Vol. II, p. 280-1), tout en exprimant ailleurs toute son aversion face à la crainte, selon lui, que l'Europe ne tombe entre les mains des juifs, crainte provenant précisément de sa compréhension de la grandeur de ce peuple.

Le message principal de la prophétie de Balaam est: "Ce peuple vit solitaire, il ne se confondra point avec les nations" (Ibid. 9). Il est important ici de corriger une erreur fréquente. Ce verset signifie que le peuple d’Israël n'est pas inclus dans le décompte des nations et non qu'il y est indifférent, qu’à Dieu ne plaise. Le peuple qui a été élu pour réaliser: "par toi seront bénies toutes les familles de la terre" (Gen. 12, 3), ne peut que s'intéresser et s'inquiéter pour le destin de toutes les créatures créées 'à l'image de Dieu'. Mais pour élever l'humanité, il est nécessaire de venir de l'extérieur, de ne pas se confondre, et amener ainsi la bénédiction à toute l'humanité.