Interview avec le Rav Oury Cherki
Le P'tit Hebdo, Yom Ha'atzmaout 5769
Le Ptit Hebdo: Yom Haatsmaout marque-t-il la fin de l’exil ou l’indépendance de l’Etat d’Israël? La dimension de Yom Haatsmaout est-elle d’ordre religieux ou politique?
Rav Oury Cherki: La fin de l’exil d’Israël est l’accomplissement de la promesse prophétique du retour. La Géoula, mot traduit en français par délivrance ou rédemption est un événement politique: le retour d’Israël à la souveraineté (Maimonide, introduction à ‘Heleq). Il doit entraîner un bouleversement spirituel. Il s’agit de marquer la délivrance du peuple, c'est-à-dire l’indépendance politique, cause de l’évolution spirituelle.
L. P. H.: Que signifie pour vous le fait de refuser de fêter Yom Haatsmaout, de fêter la fin de l’exil ?
R. O. C.: La seule partie de l’histoire qui ne peut être accomplie par le Créateur c’est la reconnaissance pour les événements, au travers desquels se réalise l’histoire d’Israël, comme acte voulu par Lui.
L. P. H.: Pourquoi faire précéder Yom Haatsmaout de Yom Hazikaron? Pourquoi ce jour du souvenir et de peine juste avant un jour de fête?
R. O. C.: C'est un des symboles du génie d’Israël. Juste avant Pourim, notre victoire sur nos ennemis, la tradition veut que nous jeûnions. Plus proche de nous, à l’époque de 'Hida, au XVIIIe siècle (‘Hayim chaal II, 11), une communauté voulut fêter un événement heureux et l'a fait précéder d’un jour de jeûne. Dans la tradition d’Israël, fêter la délivrance s’accompagne toujours du souvenir de la difficulté de cette délivrance.
L. P. H.: Les grands rabbins d'Israël Ouziel et Herzog, ont institué la récitation du Hallel à l’occasion de Yom Haatsmaout. Comment expliquez-vous la controverse à ce sujet?
R. O. C.: Découvrir la main de Dieu au travers de l’histoire a toujours posé problème au peuple juif. Il y a toujours eu des périodes d’acclimatation face aux évolutions de l’histoire A la sortie d’Egypte; le peuple Hébreu a mis du temps pour prendre conscience de sa délivrance. Ce phénomène se retrouve dans la délivrance de Pourim (Babli meguila 7a), et plus encore dans celle de Hanoucca qui a failli être occultée de l’histoire (Babli RH 18b). L’existence d’un enjeu implique réticences et difficultés. Les surmonter est la réalisation de la foi d’Israël.
L. P. H.: Pessah, Yom Haatsmaout, Chavouot… le fil conducteur?
R. O. C.: La rédemption d’Israël débute à Pessah et s'achève à Yom Haatsmaout. La tradition talmudique, veut que la dernière délivrance d’Israël soit celle de l’accomplissement. La fête de Chavouot est celle de la libération spirituelle.
L. P. H.: Est-ce que Pessah était incomplet jusqu’à la venue de Yom Haatsmaout?
R. O. C.: Au Séder de Pessah, une bénédiction où nous demandons à Dieu de nous permettre de réciter un autre cantique lors de notre libération cloture le Maguid de la Aggada. Pessah est en attente de l’accomplissement d’un autre événement.
L. P. H.: N’avons-nous pas, avec les événements du Goush Katif, rejeté un bienfait de Dieu? Quel est l'impact sur Yom Haatsmaout?
R. O. C.: La méconnaissance profonde par le gouvernement de la nature véritable du conflit nous opposant à nos voisins et la gravité des évènements du Goush Katif ne peuvent diminuer la grandeur de notre époque. Après la sortie d’Egypte, nous avons vécu des événements beaucoup plus graves. Faisons la part des choses et reconnaissons que nous vivons le temps du Retour.
L. P. H.: Vous êtes l’auteur d’un rituel de prières « Beit Meloukha ». Expliquez le nom et la raison de ce Sidour?
R. O. C.: Il y a le Beit Oved pour la semaine, le Beit Ménou’ha pour Chabbat, Beit Moëd pour Souccot et Beit Abé’hira pour Pessah. Avec Beit Meloukha qui se traduit par royauté, j'ai voulu compléter cette série par un Sidour adapté à notre époque, au moment du retour à notre indépendance. Il était absolument nécessaire de rédiger un Sidour ancré dans la tradition la plus profonde d’Israël pour guider les fidèles dans le rituel de Yom Haatsmaout et de Yom Yérouchalaïm.
L. P. H.: Y a-t-il un événement central d’ordre religieux dans le rituel de Yom Haatsmaout?
R. O. C.: Le rituel consiste essentiellement dans la récitation instituée par le Grand Rabbinat d’Israël en accord avec les instructions talmudiques à ce sujet (Pessa’him 117a et Rachi) du Hallel le soir et le matin. Celui du soir a été introduit par le Grand Rabbin Goren, et place Yom Haatsmaout en rapport direct avec Pessah où nous récitons aussi Hallel le soir. Depuis plusieurs années, une grande prière est organisée le soir par différentes communautés de Jérusalem (dont Beit Yéhouda que je guide) au Kotel. Plusieurs milliers de personnes s'y réunissent pour donner à la prière un caractère national.
L. P. H.: Cela a-t-il un sens pour un juif de diaspora de fêter Yom Haatsmaout?
R. O. C.: Oui. Un Juif de diaspora est un Juif en attente du retour. Se trouver géographiquement loin d’Israël n'empêche pas le juif de vivre l’histoire d’Israël avec Israël. Ne pas fêter Yom Haatsmaout revient à se situer en dehors de l’histoire, se retrancher du présent et du futur d’Israël.