Rav Oury Cherki
La quatrieme dimension
Paracha Ha'azinou, Tichrei 5766
Tout homme aspire a la plenitude. Le moment ou l’harmonie de l’etre avec lui-meme est pleinement realisee est unique dans la vie. La tradition hebraique celebre ces instants privilegies par un cantique, chira, qui est a rapprocher de charcheret, la chaine, le lien entre l’interiorite et l’exteriorite, a l’oppose de zimra, la chanson, proche de zemira, l’emondage, signifiant le detachement entre l’esthetique et la vie interieure.
Le Zohar envisage quatre sortes differentes de cantique: simple (chir pachout), double (chir cafoul), triple (chir mechoulach) et quadruple (chir merouba). Le Rav Kook (in Orot hakodech II, p. 444) interprete ces termes comme designants des formes differentes de reference:
Le cantique simple est celui de l’individu heureux d’etre lui-meme, qui trouve dans sa propre personne la totale satisfaction de son desir d’harmonie.
Par contre, le double cantique est chante par celui dont la reference est la communaute d’Israel toute entiere, qui ne se sent en harmonie qu’avec l’histoire passee, presente ou a venir de son peuple, dont la souffrance et la joie dependent de la vie nationale.
Au dela de ces cantiques se place celui de l’Universel humain, chante par ceux qui s’identifient avec la destinee de l’humanite dans son ensemble, qui ne se sentent libres que lorsque tous les hommes sont libres.
Le quatrieme niveau est celui de l’individu cosmique, doue d’une parole qui s’impose au ciel et a la terre, qui d’une certaine maniere cesse d’etre un individu, pour fusionner avec l’ordre du monde. Il est de ceux "qui recitent un cantique tous les jours, qui sont assures de participer a la vie du monde a venir" (midrache Perek Chira).
Ces cantiques sont chantes dans la Bible. Celui de l’individu: "Heureux sont les residents de ta demeure, ils te loueront encore eternellement" (Ps. 84,5). Celui de la collectivite nationale est chante par Josue lors de la conquete de Canaan, celui de l’humanite par Moise et les enfants d’Israel lors du passage de la mer Rouge, et c’est notre paracha, Haazinou, qui nous offre l’exemple du cantique cosmique, recite par Moise avant son depart de ce monde: "Ecoutez, cieux, mes paroles, que la terre entende mon discours" (Devarim 32,1). La parole de Moise englobe l’histoire toute entiere et au-dela, jusqu’a la ressurection des morts et le regne du Createur (32,39).
Le Talmud (Sanhedrin 92b) considere que ces quatre cantiques font tous reference a la ressurection des morts, parceque tout etat de plenitude merite de participer de l’eternite: “Tout celui qui recite un cantique dans le monde present, le recitera dans le temps a venir”.
Cette vision du monde comme le lieu qui suscite des cantiques emporte naturellement l’adhesion. Le probleme apparait lorsque les cantiques se transforment en ideologies. Alors il deviennent individualisme, nationalisme, humanisme et ecolo-pantheisme. La belle harmonie devient cacophonie. Chaque ideologie donnant la primaute d’une valeur au detriment des autres valeurs devient quelque peu idolatre et entre en conflit avec les autres.
Pour retablir l’harmonie il est necessaire de chanter un cinquieme cantique qui soit le produit de l’ensemble des cantiques. Autrement dit, le cantique des cantiques, attribue a Chelomo (=la paix est a lui), le roi dont la paix entre les cantiques est Sa volonte. Le rav Kook donne a ce propos l’etymologie du mot Israel: Chir El, le cantique de Dieu, qui est l’auteur de l’harmonie entre les cantiques.