Rav Oury Cherki

Vayera - Sodome et Gommorrhe, récit, prophétie ou allégorie?

Transcription de la leçon (pas encore vérifié par le Rav). Publié sur le site du Centre Noachide Mondial



 

Au début de la section hebdomadaire de Vayera (Gen. 18) est raconté l'accueil de trois invités par Abraham et leur promesse sur la naissance d'Isaac. Cet évènement s'est-il réellement déroulé ou était-ce une vision? Maïmonide et Nahmanide - deux géants du judaïsme – ont chacun donné un avis divergeant: pour Maïmonide, de la venue des trois invités et jusqu'à la destruction de Sodome, tout n'est que vision prophétique sans concrétisation matérielle. La preuve: ce récit débute par les mots "וירא אליו ה'", "l'Éternel se révéla à lui", indiquant une vision de type prophétique et servant ici d'introduction à tout ce qui suit. Nahmanide rejette virulemment cette explication: "ces paroles sont contraires au texte et il est interdit d'y croire!". L'on peut comprendre que Nahmanide ait des difficultés à accepter l'explication de Maïmonide, mais pourquoi la considère-t-il comme une entrave à la foi?

Le rav David Cohen – le Nazir – explique que Nahmanide, étant confronté au christianisme, était particulièrement sensible au risque que les chrétiens exploitent le commentaire de Maïmonide. Ils risquaient d'apprendre qu'un commentateur juif par excellence parlait d'une révélation divine par l'intermédiaire de trois hommes, soutien inestimé à leur croyance en la trinité. Maïmonide, confronté pour sa part aux musulmans, ce risque n'existait pas. Ce qui l'inquiétait était la croyance populaire en la matérialisation de choses spirituelles sous forme de fantômes et démons. C'est la raison pour laquelle il préféra parler d'une rencontre abstraite entre Abraham et les anges.

Il convient de s'attarder sur la grande difficulté dans l'explication de Maïmonide qu'a mise en évidence Nahmanide: si tout n'était qu'une vision, comment les gens de Sodome ont-ils pu prétendre porter atteinte aux anges? Ces méchants étaient-ils devenus prophètes?

Une lecture attentive du texte permet de comprendre Maïmonide et pencher en faveur de son explication: "L'Éternel fit pleuvoir sur Sodome et sur Gommorrhe du soufre et du feu; l'Éternel lui-même, du haut des cieux. II détruisit ces villes, toute la plaine, tous les habitants de ces villes et la végétation du sol. La femme de Loth, ayant regardé en arrière, devint une statue de sel. Abraham se réveilla de bon matin etc." (Gen. 19, 24-27).

Quelle fin surprenante! Elle donne l'impression que la destruction de Sodome, la réception des anges et le sauvetage de Loth n'étaient qu'un rêve prophétique d'Abraham, voila l'explication de Maïmonide. Or cette scène se déroulait en parallèle dans la réalité. Ainsi, la descente des anges vers Sodome permettait à Abraham de participer au jugement de Sodome, lui donnant l'occasion de voir comment les gens de Sodome se comporteraient avec les anges, s'il leur était permis de les voir.

Finalement, l'on ne peut parler de ce récit sans mentionner le commentaire du Ralbag (rav Levi ben Gershom, 14e siècle en Provence). Suivant son principe qu'un miracle ne peut se dérouler sans la participation active d'un prophète, il explique que les trois personnes ayant rendu visite à Abraham étaient en réalité des prophètes (anachim) venus apporter la nouvelle de la fécondation de Sarah et du jugement de Sodome. Le titre d'ange (malakhim) qui leur est donné n'étant, selon cette lecture, qu'un titre honorifique approprié à leur rang de prophètes.