"Se souvenir collectivement est un signe de l'unité d'Israël"

Interview avec le rav Oury Cherki

Actualité Juive, Nissan 5781




Quelle est la dimension toraïque du Yom Hazikaron?

Il faut savoir que ce qui concerne le peuple d'Israël, en tant que nation, fait partie de la Torah car quand Abraham est élu il l'est, non pas pour fonder une religion, mais une nation sur un sol. Par conséquent, toute la dimension militaire et héroïque liée à l'établissement d'Israël sur sa terre est hautement sainte et appartient, sans l'ombre d'un doute, à la tradition de la Torah.

Le fait de se souvenir collectivement renforce-t-il cette dimension?

Oui, se souvenir collectivement est un signe de l'unité d'Israël, la a’hdout d'Israël, qui est l'une des plus grandes valeurs du judaïsme. D'ailleurs dans la Meguilat Esther, on voit que ce qui a sauvé les Judéens de l'époque était le fait qu'ils étaient unis.

Alors comment expliquer que certaines franges ultra-orthodoxes ne respectent pas ce jour du souvenir voire le dénigrent?

Ce non-respect est dû à la réticence au sionisme dans son ensemble de certains milieux, dits traditionnels. Accoutumés à la vie de l'exil, certains ont oublié que nous étions une nation et qu'une nation a une armée et qu'une armée implique des jours du souvenir.

Les soldats peuvent-ils être considérés comme des tsadikim, des vertueux?

Il faut aller dans la ligne tracée par Manitou en son temps. Les soldats ne sont pas des tsadikim mais des kedochim, des saints. Car, quand on tombe au combat on n'est pas considéré sur le plan individuel mais dans le cadre d'une mission nationale que l'on accomplit. Cela dépasse donc la sainteté individuelle qui fait que l'on soit tsadik ou pas.

S'engager dans les rangs de Tsahal peut-il être considéré comme une mitsva?

C'est une évidence, étant donné qu'il y a mitsva consistant à prendre possession de la terre d'Israël et que cela passe, entre autres, par les armes comme le dit la Torah : le service militaire fait partie intégrante des 613 commandements.

Quelle est, plus largement, la place du souvenir dans la Torah?

Le souvenir est pratiquement la moelle épinière de l'identité d'Israël. Nous traversons, à travers une très longue histoire, différentes civilisations qui disparaissent. "Les civilisations se savent mortelles", comme disait Paul Valéry. Et la trace laissée par les différentes nations que nous avons traversées est perpétuée par le souvenir d'Israël. C'est presque là la fonction de notre peuple : être le souvenir de l'humanité. De ce point de vue-là c'est d'une ampleur inouïe.

Sans transition nous passerons de la douleur du souvenir à la joie de l'indépendance. Cette transition estelle liée au judaïsme?

Oui, le soir du Seder de Pessa’h, nous mangeons à la fois des herbes amères, symbole de l'esclavage, et des matsot, symbole de la liberté. Cette transition immédiate fait partie de la foi monothéiste. Pour les monothéistes, la douleur et la joie relèvent du même créateur.

Comprenez-vous, en tant que père endeuillé dont le fils a été assassiné dans un attentat palestinien en 2015 à Jérusalem, que certains jugent cette transition trop brutale et s'en offusquent?

En tant que personne directement concernée, je ne partage pas cette critique. La fin de la chiva pour mon fils, Chalom Yohaï Cherki za"l, coïncidait avec le soir du Yom Haatsmaout et je me suis rendu au Kotel faire la prière de fête.

Justement Yom Haatsmaout est-il une fête israélienne ou une fête juive?

Le Juif désigne l'identité d'Israël telle qu'elle a été perpétuée pendant le temps de l'exil. L'Israélien, comme disait Manitou, c'est le juif redevenu hébreu. Donc on peut dire que plus une fête est israélienne plus elle est authentiquement hébraïque.

Quelle est plus largement la place de la notion d'indépendance dans le Torah?

La notion de l'indépendance est désignée par les textes traditionnels, sans exception, comme étant la gueoula, la délivrance. Le terme de rédemption messianique, contrairement au christianisme, qui n'y voit qu'un événement spirituel, a toujours été considéré par nos maîtres comme un événement fondamentalement politique qui par la suite a des conséquences spirituelles.

Et l'indépendance politique?

En retraçant notre histoire, on se rend compte que l'indépendance politique est le fondement de toute liberté. Le Pharaon avait proposé à Moïse la liberté de culte en Égypte. Il a refusé car il n'y a pas de service de Dieu tant qu'il n'y a pas d'indépendance par rapport à une autre puissance.

Où se situe l'indépendance individuelle?

Elle appartient à la Techouva. Celle que l'on fait pendant les fêtes de Tichri où nous nous libérons de nos asservissements et de nos mauvais penchants.

Peut-on dire que le peuple Juif est aujourd'hui enfin indépendant?

Nous sommes entrés dans la phase de notre histoire qui est celle de la 3ème maison d'Israël, qui se traduira bien sûr par la construction du 3ème Temple. Une phase qui rend caduque la continuité d'une identité exilique.


Propos recueillis par Nathalie Sosna-Ofir.