Rav Oury Cherki


La sanctification du temps

Paracha Emor, Iyar 5766



Il est classique depuis Rabbi Yéhouda Halévi de dire que le Dieu d’Israël est celui de l’histoire. La révélation et la providence se manifestent à travers la réalité historique plus qu’à travers une prise de conscience spéculative. On peut affirmer que le Saint beni-soit-il rencontre l’homme dans le temps car le temps est la manière de l’homme de vivre le monde. Dans notre paracha, Emor, la moitie du texte est consacrée à la sainteté de certains hommes, les cohanim, et la deuxième traite de la sainteté de certains jours de l’année: le Chabbat et les fêtes. La proximité des deux saintetés dans le texte semble vouloir dire que l’une est condition de l’autre, ou plus précisément, que seuls des hommes saints sont susceptibles d’appréhender la sainteté des jours saints.

Les règles données par la Thora pour les jours de "rencontre avec Dieu", moade hachem, laissent entrevoir un projet de l’histoire. Le premier et le plus saint des jours est le Chabbat, qui commémore la création du monde. Comme Dieu est le seul auteur de la création, il est nécessaire que la créature cesse toute son activité habituelle afin d’entrer en contact avec un niveau de réalité ou Dieu est le seul à agir. Quand il est question de la création, l’absence d’autonomie de la créature est telle qu’elle implique une quasi-annihilation de l’Etre. Tout acte créatif est donc interdit le jour du Chabbat.

Il en est autrement des jours de fête, yamim tovim, qui commémorent tous la sortie d’Egypte. L’événement de la libération d’Israël, bien qu’ayant pour point de départ l’initiative de la Providence, a nécessité la participation minimale des Hébreux: ils ont marché. Il n’est donc pas nécessaire de cesser toutes les activités pour appréhender la sainteté du jour: le déplacement des personnes et des fardeaux est autorisé lors des fêtes, parce que le déplacement des Hébreux est à leur origine. De même, la cuisine est autorisée, pour exprimer la réalité de l’être humain, qui ne peut se passer de nourriture, et que la sainteté du jour n’annihile pas totalement. Il ressort de cette analyse que l’histoire porte en elle l’invitation à une participation de l’homme à l’œuvre de la création. Il est dans le sens de cette idée que la participation de l’homme aille en s’agrandissant, jusqu'à une complète autonomie de la sainteté déposée entre les mains de l’homme.

Un verset à la fin de la liste des fêtes, laisse entendre qu’il est possible de continuer l’œuvre de sanctification du temps dans la suite de l’histoire, après la sortie d’Egypte. C’est: "Moise enseigna les fêtes de Dieu aux enfants d’Israël" (23,44). On peut comprendre ce verset comme signifiant que Moise a enseigné aux enfants d’Israël la faculté de créer des fêtes nouvelles au cours de l’histoire. Or, juste après cette phrase le texte rappelle deux commandements relatifs au service du Temple: l’allumage du candélabre et les douze pains de proposition. Il est aisé de reconnaître là des allusions aux fêtes ultérieures de Hanoucca et Pourim, célébrées respectivement par des lumières et un repas (le douzième mois). Il est plus ardu de déchiffrer l’allusion contenue dans l’épisode du blasphémateur qui apparaît immédiatement après. Il s’agissait d’un semi-hébreu semi-égyptien, que sa condition ambiguë a poussé à la détérioration de la parole. Le texte dit que Moise et les enfants d’Israël ne savaient pas comment le juger. Il semble que Moise, lui-même Hébreu de naissance et Egyptien de culture, ayant lui-même des difficultés à parler, ait été intrigué par un personnage lui ressemblant par ses données de départ, et qu’il se serait demandé si le personnage n’était qu’un vil blasphémateur ou si son effronterie ne portait pas en germe celle du libérateur des temps messianiques là où, selon le Talmud, l’effronterie sera abondante. Le blasphémateur du temps de Moise a été lapide, mais le récit porte en lui l’allusion à une fête des temps du Retour où l’on fête la sortie du dernier exil, réalisée grâce à l’effronterie des juifs, initiée par un produit de la culture européenne, qui décida de revenir à son peuple et à sa terre.