Rav Oury Cherki


Ne pas mourir

Paracha Vaye'hi, Tevet 5766



Il est paradoxal que la paracha qui relate le deces de Jacob s’intitule Vaye’hi: il vecut. On peut voir la une allusion au principe enonce par le Talmud: "Jacob notre Pere n’est pas mort" (Taanit 5b). Le fait qu’a partir de Jacob s’acheve l’histoire des patriarches en tant qu’individus, pour debuter celle de la collectivite d’Israel, transforme Jacob lui-meme de l’etat d’individu perissable en principe fondateur d’une identite nationale imperissable, celle du peuple d’Israel. Il est significatif de comparer son inhumation a celle de Joseph, qui est conserve dans son sarcophage en Egypte. La civilisation egyptienne s’imaginait pouvoir conserver la vie en preservant l’enveloppe corporelle par la momification, alors que celle-ci ne fait que conserver la trace de la vie. Par contre, la perpetuation de la vie de Jacob se realise par son enterrement dans le caveau de Makhpela a Hebron, prefigurant ainsi le principe fondamental de l’histoire hebraique: le Retour. C’est la promesse du retour a la terre des ancetres, ou la Parole de Dieu est entendue, qui assure la permanence de l’Etre juif en temps d’exil: "ne crains pas , O Jacob, ne redoutes pas, O Israel, car je te libere de ton eloignement, et ta descendance de sa terre de captivite" (Jer. 30,10) - "de meme que sa descendance est en vie, lui aussi est en vie" (Taanit 5b).

La preoccupation de Jacob pour les affaires de la terre d’Israel alors que l’exil ne fait que commecer, est frappante. Tout d’abord en assurant l’etablissement territorial en Samarie des fils de Joseph, Ephraim et Menache qui, du fait qu’ils n’ont pas connu la terre d’Israel, risquent de se considerer comme des egyptiens. L’aine Menache, nomme ainsi parce qu’il figure l’oubli de la maison du pere (nachani – Ber.41,51), est remplace par Ephraim, "la fructification", ce qui signifie que la reussite ne se fonde pas sur l’oubli.

Mais ce qui constitue le point culminant de l’entreprise de "mise au point" par Jacob, c’est les benedictions qu’il transmet a ses enfants avant de mourir. Rabbi Itzhak Abrabanel interprete les benedictions comme etant la justification du choix de Juda comme detenteur du pouvoir en Israel. Il faut d’abord comprendre pourquoi ses freres sont disqualifies de la royaute:

Reuven, a cause de son impetuosite, risque de mener une politique de precipitation.

Simeon et Levi sont violents. Leur fanatisme, bien qu’utile dans des circonstances exceptionelles, ne peut pas assurer la permanence politique. Il faut donc les disseminer en Israel pour qu’ils deviennent source de benediction.

Zevulon, mele au grand commerce international, peut etre amene a preferer les interets de "l’ordre international" a ceux de son propre peuple.

Issakhar, amoureux de l’etude et de la tranquilite, risque de renoncer a l’independence politique.

Dan, le combattant de guerrila, Gad l’homme d’armee , Ascher l’econome, et Naphtali le culturel, sont tous trop specialises pour posseder la vision d’ensemble necessaire au dirigeant.

Joseph, detenteur du pouvoir en Egypte, juste entre tous, ne peut cependant pas pretendre a la royaute perpetuelle, car il n’entraine pas l’adhesion de ses freres.

Benjamin est l’homme providentiel pour les commencements (royaute de Saul) et pour les clotures (Esther), mais ne peut assurer la continuite du pouvoir.

Il reste Juda, qui emporte l’adhesion de ses freres. Il connait le secret de la patience, indispensable en politique. Il est decrit comme un lionceau (gour) qui devient lion (ari), puis un lion geant (lavi). Il est donc celui qui est capable d’entreprendre la liberation d’Israel, dont les sages du Talmud (Yer. Berakhot I,1) ont dit qu’elle se realise progressivement.