Rav Oury Cherki

Il faut en finir

Paracha Matot, Tammuz 5765



Il faut en finir avec l’exil. C’est a partir de cette conclusion qu’a commence le sionisme politique d’Herzl. La fondation de l’Etat d’Israel fut le point culminant de l’effort fourni par le peuple juif pour mettre fin a un mode d’existence paradoxal, celui de la dispersion, qui avait fini par etre considere comme la normalite par une grande partie du peuple juif. On conviendra donc aisement qu’il est capital de determiner si l’option sioniste se situe oui non dans la droite ligne de la tradition. C’est notre paracha, Matot, relatant le dernier episode de l’aventure du desert, qui fournit l’argumentation halakhique du sionisme. Le verset 53 du chapitre 33: “vous prendrez possession du pays et vous y residerez” est considere par une des plus grandes autorites halakhiques du moyen-age, Nahmanide, comme un commandement positif dont la substance est “que la terre que Dieu a jure de donner a nos ancetres soit en notre possession et que nous ne l’abandonnions pas a une autre nation que nous ou a la desolation.” (additif au Sefer haMitzvoth, asse 4). C’est une donnee fondamentale, qui permet la convergence entre l’effort sioniste laique des temps modernes et l’adhesion pleine et entiere des tenants de la tradition aux institutions de l’Etat, qui de ce point de vue, est en soi l’accomplissement d’une mitzva. Cependant, le fait que la fidelite a l’Etat trouve sa legitimite dans la Thora implique egalement des limites a cet engagement, dans le cas ou les valeurs fondamentales de la Thora seraient bafouees par l’Etat. C’est ce risque de rupture qui a toujours amene les responsables israeliens a chercher un modus vivendi qui permette de preserver l’unite de la societe malgre la divergence de ses membres sur la norme fondamentale, de sorte que ne soient pas prises des decisions unilaterales qui ne tiendraient pas compte de la sensibilite de chaque composante de la societe.

Il faut en finir avec l’exil. Mais l’exil est devenu le substrat de nos souvenirs, le lieu ou se sont accumulees les experiences constitutives de notre etre collectif durant de nombreuses annees. Il serait naif de penser batir une nouvelle identite, totalement deracinee des souvenirs de la periode ou les hebreux avaient cesse d’etre une nation, pour devenir les fideles de la confession israelite. Notre paracha offre un exemple de la maniere dont la liaison peut etre operee. En effet les 42 campements du desert, enumeres au debut de la paracha, sont restitues en Eretz-Israel par les 42 villes de la tribu de Levi, porteurs dela trace de l’errance, disseminees sur le territoire national. Le chiffre de 42 n’est evidemment pas un hasard. Sept designe la saintete dans la nature (c’est le nombre de”jours” necessaire a la creation de la Nature) et six, la mesure du temps (c’est le nombre des jours ou l’univers etait encore en mouvement). Etant donne qu’Israel vit l’existence essentiellement a travers la dimension du temps pendant l’exil, ses peregrinations seront comptees comme 6x7=42. Le passage de l’errance a la fixite, lorsqu’Israel reintegre la famille des nations, implique aussi le passage du temps a l’espace, qui lui aussi est traditionnellement mesure par le chiffre 7 (dans un espace a trois dimensions il y a six directions et un centre). Il faut donc completer le nombre des villes des levites pour l’adapter a cette nouvelle categorie d’Etre, en y ajoutant les six villes de refuge, et encore Jerusalem, ou l’autel peut sevir eventuellement de refuge. De sorte qu’on passe de 42 a 42+6+1=7x7=49.

Cette synthese entre les deux periodes de notre histoire se traduit dans le sentiment commun de la societe visraelienne d’etre composee d’israeliens d’origine juive, c’est-a-dire de Juifs redevenus Hebreux.