Rav Oury Cherki

Ecrasante uniformite

Paracha Noah, Hechvan 5766



"La terre etait d’un meme langage et de memes paroles" (Berechit 11,1). C’est ainsi que la Thora decrit ce qu’etait l’humanite cosmopolite a l’origine de l’histoire. De prime abord, il est seduisant d’adopter ce mode de societe. En effet, l’experience historique montre que c’est les differences entre les hommes qui suscitent les conflits et la violence. Or, les hommes de la generation de la tour de Babel venait juste apres la catastrophe du Deluge provoquee par la violence de la societe. Il etait donc justifie a leurs yeux de tenter de creer une societe homogene, ou les differences ne pourraient meme pas apparaitre. Cette tentation de l’uniformite se retrouve dans de nombreux domaines de la vie sociale, comme par exemple celui de l’education, ou souvent l’educateur juge que son role est de creer un type modele d’identite, refusant le "droit a la difference". La stategie des responsables du temps de Babel etait donc d’atteler l’humanite a un projet gigantesque, la fameuse "Tour de Babel", dont la construction mobiliserait des generations entieres, dont la vie se deroulerait de la naissance a la mort pendant la construction, dans laquelle tous les individus trouveraient un sens a leur vie. Dans la realite, ce mode de comportement entraine une violence beaucoup plus profonde que celle que l’on voulait eviter: le totalitarisme de l’uniformite. Dans un tel systeme, l’individu avec la richesse de sa specificite n’a pas sa place, la vie individuelle n’a plus de sens. Le Midrache (Pirkei Rabbi Eliezer chap. 24) exprime cela a sa maniere: "lorsqu’un homme tombait de la tour et mourait, ils n’y pretaient pas attention, mais si une brique tombait, il prenaient le deuil et pleuraient en disant: malheur! Quand montera donc une autre a sa place!?".

Dans cette optique, la dispersion et la division de l’humanite a Babel a sauve le monde. L’apparition de ce que le rav Leon Askenazi appelait "les differentes manieres d’etre homme", est enfin devenue possible.

Mais le probleme de la violence reste alors entier. Chaque identite humaine va alors tenter de s’imposer au reste de l’humanite comme modele exclusif, ce qui suscitera les imperialismes dominateurs. L’illustration de ce phenomene est donnee dans notre paracha par la personne d’Achour, l’ancetre des assyriens, qui quitte Babylone lorsqu’il constate que le projet de la tour est une revolte contre Dieu (Rachi sur 10,11). Il semble donc mu par une intention morale, qui etait probablement sincere a ses debuts, mais qui s’est rapidement transformee en imperialisme, puisqu’il construit Ninive, la seconde Babylone. Il s’avere donc que la critique d’Achour contre Nimrod, l’initiateur de la tour, etait motivee par le desir d’imposer sa propre specificite aux autres.

C’est sur cette toile de fond, celle d’une humanite dechiree entre l’uniformite et la division, qu’apparait la personnalite d’Abraham, porteur de la solution du probleme: l’Unite. Dans un monde divise en soixante-dix nations, Abraham presente une soixante-et-onzieme nation denuee de specifite dans le sens restrictif du terme, qui a pour vocation d’origine d’etre le lieu de rencontre des diverses identites humaines. De sorte que tout en preservant la richesse culturelle qui lui est propre, chaque famille de la terre puisse se retrouver dans le foyer d’unite de la nation hebraique. Abraham fonde ainsi l’Universel.