Rav Oury Cherki

C’est tout vu

Paracha Re'eh, Av 5765



C’est l’ecoute, plutot que la vision, qui est au centre de l’identite d’Israel. Alors que l’heritage grec a banalise l’idee que la pensee est une image (Aristote debute sa Metaphysique en assimilant la passion de connaitre au plaisir que procurent les yeux), la foi hebraique est proclamee par l’interiorite de l’Ecoute Israel. Il faut certainement voir la une pedagogie de prudence face au danger de paganisme contenu dans la superficialite de l’image. Cependant, un refus total de la vision risque d’entretenir une conception dualiste de la realite, privant de saintete le monde visible. C’est pourquoi apres l’exaltation de l’ecoute dans les precedentes parachiot, notre paracha, Re’e, commence par les mots: “Vois, je donne devant vous” (11,26). Ce qui veut dire qu’apres un certain temps de refuge dans la vie interieure, arrive le moment ou il faut retrouver le contact avec la vie pleine et entiere. Cela implique une reconciliation de l’homme avec la Nature, apres l’evacuation du paganisme: “Detruisez tous les lieux ou les nations que vous remplacez ont servit leurs dieux, sur les hautes montagnes, sur les collines, et sous tout arbre verdoyant. Renversez leurs autels, brisez leurs steles, brulez leurs arbres sacres, demantelez leurs idoles, perdez leur souvenir de ce lieu” (12,2-3). Le radicalisme de cette injonction n’a pas pour but de refuser la Nature, mais seulement sa sacralisation magique par les cananeens. Une fois le monotheisme etabli, arrive le temps de la saintete non de la Nature mais dans la Nature, ce qui est realise dans le lieu de la saintete, le temple de Jerusalem: “Vous n’agirez point ainsi envers l’Eternel votre Dieu, mais vous vous enquererez du lieu que l’Eternel votre Dieu choisira d’entre toutes vos tribus pour y installer Sa Presence, et tu t’y rendras” (12,4-5). Il est remarquable que le sommet de la rencontre avec la saintete dans la Nature est concretisee par la consommation de la viande, d’abord celle des sacrifices puis celle des betes profanes (12,6-27). L’alimentation carnee, qui comporte une interrogation morale, puisqu’elle implique la privation de la vie d’un animal, est ici encouragee lorsque la saintete est acquise grace au temple puis, par l’elargissement des frontieres d’Eretz-Israel: “Lorsque l’Eternel ton Dieu elargira tes frontieres comme Il te l’a promis, tu voudras alors manger de la viande, tu desireras ardement manger de la viande, tu mangeras de la viande autant que tu le desire” (12,20). C’est que le monotheisme integral implique la participation de la vie pleine et entiere a la saintete, la joie de vivre, lorsque l’equation morale est reussie.

C’est precisement lorsque l’unite de l’etre est enfin realisee que peut s’etablir la societe prophetique, avec evidemment aussi ses dangers de faux prophetisme, dont traite la paracha (chapitre 13).

L’equilibre moral qui soutient une telle societe risque d’etre rompu si la fraternite des hebreux n’est pas respectee, d’ou l’insistance de la paracha sur les lois sociales, telles la dime des pauvres, l’annee sabbatique et la charite. L’aspect national de la vie de societe est mis en evidence: “on ne pressurera pas son prochain et son frere…c’est l’etranger que l’on pressure”(15,2-3). Malheur donc a la societe qui prefererais l’etranger a ses propres freres, en utilisant la legalite contre la loi morale de la fraternite.

La reussite du projet de la societe hebraique sur sa terre entraine le face a face avec le Createur au temple lors des fetes, ou les partenaires se voient apres s’etre entendus toute l’annee: “trois fois par an seront vus tous tes males a la face de l’Eternel ton Dieu dans le lieu qu’Il choisira” (15,16).