Rav Oury Cherki
Crime et châtiment
Paracha Michpatim, Chevate 5766
La paracha de Michpatim pose le problème de la répression des méfaits par la société. Le jugement implique évidemment des sanctions contre les crimes, dont la severite est variable. Il faut donc un critère qui permette de déterminer le type de sanction, ainsi que les modalités d’applications de la loi. Un cas intéressant est celui de l’homicide contre un esclave, du temps ou il était admis. La Thora punit de mort le coupable, ce qui en soi une innovation remarquable lorsque l’on connaît le statut des esclaves dans l’Antiquité: "Si un homme frappe son esclave ou sa servante d’une verge et qu’il meure sous sa main, il sera venge" (Chemot 21,20). Mais ce qui est surprenant de prime abord, c’est l’exception a la règle: "S’il survit un jour ou deux, il ne sera pas venge, car il est son bien" (21,22). Independement du problème que peut poser le fait qu’un homme soit considere comme une marchandise, il y a surtout une difficulté logique dans cette règle. Si effectivement si la qualité d’objet acquis de l’esclave permet d’acquitter son maître si la mort a été différée, pourquoi alors appliquer la peine capitale si la mort a été immédiate? Deux remarques sont nécessaires. En premier lieu, la condamnation a mort pour l’assassinat d’un esclave est la preuve qu’il est considere comme une personne humaine avec tout ce que cela implique du point de vue du respect de sa dignité (cf. Maimonide, fin des hilkhot avadim). D’autre part, il est important de comprendre que la peine d’un crime n’est pas appliquée aveuglement, mais sera fonction de la nécessite de dissuader le criminel éventuel. Or, l’assassinat d’un esclave par son maître, bien que possible, est fortement improbable, du fait que l’esclave représente une somme d’argent importante. Il serait donc excessif du point de vue de la dissuasion, de condamner a mort tous les cas de ce crime. La Thora a donc introduit une distinction entre le cas le plus probable, celui d’un emportement soudain, ou la violence ne raisonne pas, et qui entraîne en général une mort immédiate, et celui, plus rare, ou la réflexion est mêlée à la violence, et ou la blessure a souvent un effet différé. L’expression "car il est son bien" prends donc une signification nouvelle, qui souligne la protection naturelle dont jouit l’esclave. On peut se demander si la condition misérable du prolétariat minier lors de la révolution industrielle, si puissamment dépeinte par Zola, aurait été possible si les ouvriers, au lieu d’être remplaces par d’autres après un éboulement, avaient été la propriété de l’employeur. Il aurait alors certainement veille au bien-être des miniers, bien avant que les lois sociales n’imposent des conditions humaines d’emploi.
La tolérance de l’esclavage par la Thora, ne signifie donc pas l’indifférence face à l’asservissement de l’homme par l’homme, mais bien au contraire, en un temps ou la dépendance économique naturelle se traduisait par l’esclavage, il a été indispensable de fixer les règles qui humaniseraient cette institution tant qu’elle subsisterait.
Des le début de la paracha, qui vient juste après le don de la Thora a des hommes libres, le problème de la servitude est posée a travers les règles qui imposent la limitation de la durée de la servitude pour un compatriote. C’est donc que la Thora a voulu nous faire entrevoir un monde idéal, celui ou la liberté sera pleinement réalisée.